Le 15 novembre 1884 commença à Berlin un événement qui allait marquer durablement le monde : des représentants de 14 nations, dont toutes les grandes puissances européennes, les États-Unis et l’Empire ottoman, se sont réunis pour la « Conférence de Berlin ». L’objectif était de se partager l’Afrique de manière coloniale, un moment clé de la course à l’occupation du continent. Cependant, alors que les puissances coloniales asseyaient leur pouvoir, les sociétés africaines concernées en furent totalement exclues. Leurs voix furent ignorées et leurs territoires transformés en objets d’échanges entre puissances impérialistes.
La Conférence de Berlin fut le point de départ d’une vague de violences et d’exploitation coloniales qui bouleversa des continents entiers. L’Afrique fut soumise à des structures administratives coloniales, des frontières furent tracées arbitrairement, sans considération pour les réalités ethniques et culturelles. Le résultat fut une instabilité politique persistante, qui affecte encore aujourd’hui de nombreux pays africains.
140 ans plus tard, nous sommes confrontés à la question suivante : dans quelle mesure le monde actuel est-il décolonisé ? La réponse est décevante. Les blessures coloniales ne sont pas encore cicatrisées, et le Nord global a souvent échoué à assumer ses responsabilités historiques.
Pour l’Allemagne, la Conférence de Berlin a marqué son entrée dans le cercle des puissances impériales. Sous la direction d’Otto von Bismarck, l’Empire allemand était déterminé à s’assurer des territoires coloniaux promettant des avantages économiques et une influence internationale. En Afrique de l’Est allemande, l’actuelle Tanzanie, la domination coloniale a conduit à l’une des répressions les plus cruelles de l’empire colonial allemand : la rébellion des Maji-Maji (1905-1907). Ce mouvement, porté par l’espoir d’une protection spirituelle et d’une libération de l’oppression coloniale, fut réprimé avec une violence brutale. Les troupes allemandes détruisirent des villages, anéantirent les récoltes et menèrent des stratégies de famine délibérées. Des milliers de personnes périrent – non seulement à cause des combats, mais aussi à cause des famines qui suivirent la destruction des bases agricoles. Ces crimes n’ont été que peu pris en compte, et la culture mémorielle se limite, au mieux, à quelques cérémonies commémoratives.
Les droits humains : une promesse contradictoire
65 ans après la Conférence de Berlin, avec l’adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948, le monde espérait un nouveau départ. Cette déclaration promettait des droits universels pour tous – une rupture apparente avec le passé. Cependant, en pratique, ces droits furent souvent appliqués de manière sélective. Tandis que l’Europe et l’Amérique du Nord progressaient dans la protection des droits humains, les territoires coloniaux et postcoloniaux restaient le théâtre de violations massives des droits de l’homme.
La double morale des démocraties occidentales devint de plus en plus évidente dans les décennies qui suivirent 1948. Des puissances coloniales comme la Grande-Bretagne, la France et la Belgique continuèrent de maintenir leur domination avec une violence brutale, malgré la proclamation solennelle des droits universels. Au Congo belge, jusqu’aux années 1940, des milliers de personnes furent contraintes à un travail forcé mortel dans les plantations. Les conditions de travail inhumaines provoquèrent la mort de milliers de personnes. En Afrique du Sud et en Namibie, l’apartheid se manifesta par une discrimination systématique et la dépossession de la population noire.
La convention des droits humains resta un engagement vide de sens dans ces contextes. Les manifestations pacifiques, comme le massacre de Sharpeville en 1960 en Afrique du Sud, où 69 personnes furent abattues par la police, illustrent l’indifférence face aux valeurs universelles proclamées. L’assassinat de dirigeants politiques tels que Patrice Lumumba (1961) et Thomas Sankara (1987) montre comment chaque mouvement contestant l’ordre colonial fut systématiquement réprimé – souvent avec le soutien tacite des États occidentaux.
Le rythme insuffisant de la décolonisation
Aujourd’hui encore, le bilan de la décolonisation reste insuffisant. L’Allemagne a récemment reconnu en partie sa responsabilité pour le génocide des Herero et Nama (1904-1908) en Namibie, mais les démarches concrètes pour des compensations et des réparations restent limitées. Le processus de restitution des biens culturels volés, comme les bronzes du Bénin, est lent et souvent initié sous la pression des pays d’origine. En parallèle, les musées restent remplis d’objets volés, et le discours public se concentre souvent davantage sur les supposées « contributions civilisatrices » de l’époque coloniale que sur la reconnaissance des atrocités et de leurs conséquences. Même dans des pays démocratiques comme l’Allemagne, des restes humains issus de contextes coloniaux se trouvent encore dans les sous-sols des musées.
Dans de nombreux pays occidentaux, une prise de conscience profonde des crimes du colonialisme fait défaut. La France conserve son influence dans des États africains à travers une présence militaire et le contrôle du franc CFA.
Alors que les droits humains universels sont célébrés, la dimension coloniale des violations des droits de l’homme reste souvent un sujet tabou. Les droits humains universels, proclamés en 1948, sont en contradiction douloureuse avec la réalité vécue par des millions de personnes dans les anciennes colonies et qui continue de se faire sentir.
140 ans et pas plus sages
Les blessures coloniales sont encore ouvertes, les progrès tout au plus superficiels. Sans une véritable prise en compte du passé, la Conférence de Berlin n’est pas un vestige du passé, mais un rappel des injustices persistantes.
Les avancées décoloniales sont fragmentaires, le bilan est un simulacre. Il est grand temps de faire face à la culpabilité historique et de prendre des mesures concrètes pour des réparations. Car sans actions réelles, la vision des droits humains universels reste une promesse creuse.
Alors, Conférence de Berlin – un anniversaire qui ne mérite en rien d’être célébré.