Depuis le 10 novembre 2021, le Palais de la Marina de Cotonou, au Bénin, abrite une exposition de vingt-six trésors royaux récemment restitués par le Musée du Quai Branly. Il est important de noter que du 20 février au 30 avril 2022, 103 661 personnes ont visité les trésors royaux et les œuvres d’art contemporain soigneusement exposés à la Présidence. Soit une moyenne de 3 000 visiteurs par jour sur 30 jours d’exposition. Ces biens culturels restitués comprennent des trônes et des statues anthropomorphes ayant appartenu aux rois d’Abomey. La plupart de ces trésors ont été emportés après le pillage du palais d’Abomey par les troupes coloniales françaises en 1892. La conquête de ce royaume du Dahomey dirigé par le roi Béhanzin, situé sur le territoire de l’actuel Bénin, est l’un des nombreux crimes de la colonisation française en Afrique. Mais comment comprendre que le patrimoine culturel de toute une nation soit détenu pendant des années par des étrangers? De plus, ces colons prétendent qu’il s’agit pour eux d’un butin de guerre, ou d’objets qu’ils auraient acquis à des prix dérisoires ?

En effet, l’époque coloniale a permis aux Occidentaux de remplir certains de leurs musées d’objets culturels exceptionnels provenant de plusieurs pays africains. Durant cette période, des milliers d’objets culturels ont été saisis par les pays occidentaux. Des masques zoulous d’Afrique du Sud à la sculpture de la reine Bangwa du Cameroun en passant par la couronne d’or et de cuivre d’Éthiopie, de nombreux autres trésors précieux sont conservés dans les musées occidentaux. Un véritable paradoxe aux yeux du président béninois, qui s’est exprimé en ces termes lors de son discours à la conférence de presse qui a suivi la signature de l’acte de transfert.

''Comment voulez-vous que je sois aussi enthousiaste lorsque je repars d'ici avec les 26 trésors, alors que le Dieu Gou, œuvre emblématique représentant le dieu des métaux et de la forge, la tablette Fâ, œuvre mythique de divination du célèbre devin Guèdègbé, et bien d'autres, continuent d'être détenus ici en France, au grand dam de leurs propriétaires légitimes ?''.

Si l’acte de restitution entrepris par la France est tout à fait louable, il faut éviter de se focaliser sur cette restitution pour ne pas perdre de vue les 90 000 trésors africains qui errent comme des esprits égarés dans les musées français.

Aujourd’hui encore, cette restitution suscite plusieurs interrogations chez les Africains en général et les Béninois en particulier :

Quand ces trésors ont-ils été acquis et transférés en Europe ?

Que savons-nous de l’histoire de nos propres objets ?

Les discours véhiculés par l’Occident sur la genèse et les impératifs liés à la production de ces œuvres sont-ils vraiment fidèles à la réalité du socius qui imprègne leur élaboration ?

Le défi permanent de la rétribution auquel sont confrontés les musées et les gouvernements africains reste d’actualité, même si certains musées patrimoniaux du Nord affichent la volonté de restaurer les artefacts qui ont été volés et stockés dans leurs musées depuis des décennies. Ainsi, l’Allemagne a récemment décidé de restituer au Nigeria la collection de bronzes du Bénin, volée dans la ville de Benin au Nigeria. La plus grande collection de bronzes du Bénin se trouve au Royaume-Uni, où des musées tels que le Cambridge Museum of Archaeology and Anthropology et le Pitt Rivers Museum à Oxford ont ouvertement proclamé leur désir d’entamer des discussions sur la restitution des objets culturels à leurs propriétaires légitimes. Toutefois, le British Museum Act de 1963, qui régit toujours la législation relative aux collections de musées, interdit le retrait d’objets des collections nationales. Malheureusement, il est très peu probable que cette loi étrange soit modifiée, car le Royaume-Uni est à nouveau gouverné par des conservateurs qui s’opposent à l’idée de restitution. L’actuelle ministre britannique de la culture, Nadine Dorries, partage les mêmes opinions que le précédent ministre conservateur de la culture, Oliver Dowden, qui avait exprimé son mépris à l’égard de la « noisy woke brigade » des activistes à l’intérieur et à l’extérieur des musées nationaux. Par conséquent, l’obstacle bureaucratique et législatif joue en faveur d’une excuse plus simple de la part d’un État pour se soustraire aux responsabilités de son histoire violente et pour dissimuler la violence actuelle des objets volés derrière une loi des années 60, écartant ainsi toute forme d’action dans un avenir proche.

Par conséquent, avec l’essor de la modernisation numérique des musées panafricains en particulier, de nouveaux débats ont vu le jour sur la question de savoir si les musées africains peuvent transférer les objets d’art pillés et y accéder numériquement, et si cette tentative est une solution efficace au défi actuel tout en luttant pour le retour des objets manquants. Cependant, elle soulève des questions complexes concernant les différences culturelles et philosophiques entre l’Europe et l’Afrique, et ce qui est considéré comme un usage approprié de l’art. De nombreux objets culturels disparus en Afrique sont sacrés ou ont une signification religieuse ou culturelle, et leur absence ne peut être reproduite ou atténuée par l’affichage numérique ou l’utilisation de la duplication. En outre, nombre de ces objets culturels faisaient partie des sociétés précoloniales qui n’avaient pas l’intention de produire de l’art pour simplement les collectionner, les stocker et les observer à distance. Au contraire, ces artefacts n’étaient pas considérés comme de simples objets en termes de matériaux, mais comme des sujets dont la place était au sein de la communauté. En outre, ces sujets n’étaient pas considérés comme des spectateurs passifs, mais jouaient un rôle actif et participaient aux cérémonies, par exemple. Par conséquent, la rétribution supposée via une location numérique des artefacts culturels ne prose pas seulement une prolongation de la restitution matérielle par les gouvernements occidentaux, mais elle renforce également les questions philosophiques sur l’utilisation et la signification de l’art. Cette différence est toujours qualifiée d’ »altérité » et réinterprétée comme une préoccupation pour la « bonne manière » de prendre soin des artefacts par les nations mêmes qui ont pillé des continents entiers pendant des siècles. Néanmoins, la numérisation des objets volés par les musées africains offre également l’opportunité collective de sensibiliser au grand nombre d’œuvres d’art manquantes sur le sol africain et d’accroître la demande de restitution matérielle complète et de réparations.